La solidarité de proximité…

S’il est une des caractéristiques humaines qui fait toujours plaisir à voir, c’est bien celle de la solidarité de proximité, véritable réflexe d’entraide entre les personnes, réflexe toujours gratuit bien que parfois couteux.
Ce réflexe est très ancien dans l’espèce humaine, ancré au plus profond de son instinct de survie. C’est le monsieur qui aide une dame âgée à monter ses courses, c’est l’automobiliste qui s’arrête pour porter secours en cas d’accident, c’est la dame qui va s’engager dans un cadre humanitaire.
C’est un réflexe toujours gratuit au sens classique du terme, on ne va pas être rémunéré parce que l’on a apporté de l’aide, sinon, ce ne serait plus de la solidarité mais l’exercice de son métier. Il y a en revanche, un magnifique retour, c’est le sens que l’on donne à sa vie, c’est le bien-être que l’on en ressent; Hans Selye parlait « d’altruisme égoïste » pour illustrer l’impact bénéfique sur le stress alors que la motivation principale est bien sûr altruiste.
C’est un réflexe parfois couteux. Aider prend parfois du temps, peut nécessiter de modifier son emploi du temps… Réfléchissons au prix payé par certains humanitaires pour aller sauver des vies. Entre les maladies contractées dans certains pays, les blessures morales ou physiques dans des pays en guerre, il y a bel et bien un coût qui prouve que l’envie d’aider autrui, la fraternité, est supérieure à tout.

La mise en place de Bienveilleurs…

Actuellement, dans des entreprises, la mise en place de « Bienveilleurs » obéit à ce même état d’esprit. Il s’agit bien de personnes, riches d’une belle sensibilité, fortes d’une réelle empathie, qui vont apprendre à savoir voir un collègue, un collaborateur, en difficulté, à s’adresser à lui puis à l’orienter en fonction de ses problèmes vers le bon interlocuteur : soit vers le service RH ou le médecin du travail s’il s’agit d’un souci professionnel, soit vers le médecin traitant, dans le cas d’une problématique personnelle.
La notion de « Bienveilleurs » nous vient du Québec où l’on parle de « personnalités sentinelles ». Il s’agit de salariés qui reçoivent une formation courte dispensée par un intervenant professionnel et essayent ensuite de détecter des personnes qui souffrent moralement pour éviter que celles-ci évoluent mal en les adressant suffisamment tôt à la personne adaptée.
Mélanie Boisvert, une personnalité sentinelle, explique : « On nous apprend à reconnaître les signes précurseurs… Nous ne faisons pas d’intervention. Nous sommes plutôt une courroie de transmission… ».
Ces personnalités sentinelles existent dans des entreprises mais aussi dans des établissements scolaires et notamment au niveau des CEGEP. Ainsi, Louise Lemieux, journaliste, précise : « Au Cégep Limoilou, des enseignants sont devenus sentinelles, mais aussi des agents de sécurité, des préposés à l’entretien, du personnel de bureau. Une vingtaine d’autres personnes seront formées sous peu. Le programme s’implante graduellement dans les cégeps de la région ».

Ce principe de personnalités sentinelles s’étend aussi aux agriculteurs notamment au niveau du Bas-Saint-Laurent.

Les personnalités sentinelles en Europe et en France…

En Belgique, au niveau de la Province de Liège, la notion de « sentinelle » a déjà été concrétisée, inspirée par l’exemple canadien. Cette province cultive actuellement les « sentinelles » aussi bien au niveau de sa police que de ses étudiants.

En France, dans plusieurs entreprises, il existe des Bienveilleurs. Ils peuvent agir de manière complémentaire aux numéros verts d’assistance psychologique anonyme ; lorsque la personne, en grande souffrance, ne peut pas tendre la main, il est nécessaire que quelqu’un la lui tende d’abord la sienne.

Le même principe est mis en place par la MSA pour venir en aide aux agriculteurs en détresse, elle associe d’ailleurs numéro d’écoute et sentinelles.

Une belle notion adaptée au contexte actuel…

Ce beau concept est parfaitement adapté au contexte actuel car on sait que les crises généralement génèrent au départ un haut niveau de stress et ensuite des problèmes moraux majeurs. La crise de 2020 a la caractéristique de générer très tôt des épisodes dépressifs.

Ainsi, aux Etats-Unis, une étude réalisée par l’École de santé publique de l’Université de Boston et publiée dans la revue JAMA Network Open, montre que dès la mi-avril 2020, 27,8% des adultes américains ont présenté des symptômes de dépression, contre 8,5% avant l’épidémie.

En France, Marion Leboyer, médecin psychiatre au CHU Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne) et directrice de la fondation FondaMental, alerte également.
Dans une interview donnée à France Info, elle explique : « Effectivement, les conséquences psychiatriques du confinement et de la pandémie sont devant nous et on constate actuellement que chez des personnes qui n’ont jamais été malades auparavant, il y a une augmentation des dépressions, des pathologies anxieuses qui sont vraisemblablement consécutives aux situations difficiles qui ont été vécues pendant le confinement, à l’anxiété, au stress, au deuil que certains ont éprouvé et aux situations très douloureuses que des personnes, par exemple, les soignants, ont vécu pendant la pandémie.
On s’attend aussi à ce que des difficultés économiques, financières qui sont devant nous augmentent également ces situations qui sont très à risque de pathologie dépressive et anxieuse. Et puis, chez les personnes qui ont été infecté par le Covid-19, on sait qu’il risque de persister une inflammation qui peut faire le lit de la dépression. On sait bien que les patients que nous rencontrons, qui ont été infectés, se plaignent d’une très grande fatigue. Il faut, devant ces situations de fatigue persistante, penser à dépister une dépression ».
Le concept de Bienveilleur est donc plus que jamais d’actualité. Il est possible de le mettre en œuvre, c’est une question de volonté et d’humanité. Souvenons-nous des propos d’Emmanuel Kant « la bienveillance est un devoir d’humanité ». Peut-être que la mise en place des bienveilleurs est un devoir d’humanité.

Ce concept a été abordé sur France Inter, par Emmanuel Moreau, le 2 septembre 2020.