Extrait du livre MasterManager de Claude DESBORDES (L’Express Editions)

Le stress et la performance

L’adaptation au changement d’un organisme vivant a une conséquence visible qui a été nommée stress – ou syndrome général d’adaptation – par le Dr Hans Selye, médecin Canadien d’origine Autrichienne.

L’Homme moderne a hérité un système biologique de type animal construit pour l’Homme primitif qui devait réagir – lutter ou fuir – pour assurer sa survie. Alors que nous n’en n’avons plus vraiment besoin, nous disposons encore de ce même système de défense aujourd’hui surdimensionné. Nous continuons à bénéficier d’un puissant mécanisme de production d’hormones plutôt destinées à la chasse d’animaux sauvages qu’à la conduite d’une réunion d’équipe. Cette situation nous oblige à utiliser des moyens comme le sport pour consommer notre surplus énergétique. A défaut, le trop-plein est éliminé sous diverses formes dont l’agressivité envers les autres, par exemple.

Le stress peut être dynamisant; on parle alors communément de stress «positif». A l’occasion d’un événement important, il est utilisé comme facteur de concentration et de succès. Le stress peut aussi fragiliser, détériorer, tarauder, et même détruire. On parle alors de stress «négatif». Il est vécu, par exemple, à l’occasion d’une échéance décisive dans laquelle on perd ses moyens, ou lorsqu’une situation insupportable perdure et ne débouche sur aucun espoir de solution.

Le stress n’est en fait ni positif ni négatif; il s’agit d’un seul et unique mécanisme biologique dont l’impact varie selon la capacité de l’organisme à produire une réponse pertinente à un changement, à une agression. A un même facteur stressant, tel individu, telle organisation, telle entreprise, donnera une réponse très différente. Par exemple, un changement d’orientation stratégique produira chez certains de l’intérêt, de la curiosité et du dynamisme, tandis qu’il plongera d’autres dans l’inquiétude, la tension, voire l’angoisse.

Dans un rapport de 1993, le B.I.T. (Bureau International du Travail) faisait état du coût du stress lié à l’absentéisme, aux pertes de productivité, aux frais médicaux, aux indemnités de sécurité sociale, au turnover, aux décès prématurés, … Ce coût était estimé à 200 milliards de dollars par an pour les USA, et à 10% du PNB pour le Royaume-Uni. Si nous appliquions ce pourcentage à la France, nous devrions ajouter un indicateur aggravant : le record du monde de consommation d’anxiolytiques.

La maîtrise du stress représente donc un important gisement de performance. Le manager le prend en compte, sauf s’il s’accroche au fameux management par le stress encore préconisé par ceux qui n’ont pas pris conscience de la dimension durable du management.

Comment maîtriser le stress

Deux types de méthodes sont à notre disposition pour maîtriser le stress : les méthodes de surface et les méthodes en profondeur:

* Les méthodes de surface consistent à traiter les conséquences du stress : relaxation passive (sophrologie, yoga, visualisation, massage, …), relaxation active (contractions musculaires, étirements, respiration profonde, automassage, …), activités sportives, activités artistiques, …

* Les méthodes en profondeur consistent à rechercher les causes du stress et à mener des actions en conséquence.

Par exemple, agir pour retrouver une cohérence entre ce que l’on fait et ce que l’on souhaite faire permet d’obtenir un niveau de stress acceptable.

De plus en plus d’entreprises, conscientes des effets du stress, investissent dans des cours de relaxation, de taï-chi chuan, des équipements sportifs, des salles de détente, … Cependant, les actions les plus efficaces sont celles qui s’intéressent aux causes. Ces actions concernent directement le manager: savoir placer les collaborateurs au meilleur poste possible, à l’endroit où ils se sentent bien, dans une mission et une fonction qui leur conviennent. A noter que la maîtrise du stress réside en grande partie dans la concentration des actions au sein du «Cadre Stratégique de la Performance»*.

NDLR: Synonyme de « Accélérateur de Motivation»: alignement des actions des collaborateurs avec leurs

pôles d’intérêt, leur système de valeurs, leur vision, leur ambition, leurs objectifs, leurs buts, leurs ressources, leurs talents, leurs capacités, leurs compétences… (voir MasterManager p.149)

L’état émotionnel est un indicateur fiable

Tout organisme vivant cherche à maintenir sa structure biologique. Il est équipé à cet effet d’un système de survie. Dès qu’un manque est repéré au niveau des fonctions vitales, l’organisme agit pour rétablir l’équilibre du système. Il s’agit de ce que Cannon a nommé l’homéostasie. En réalité, toute action est destinée à maintenir l’organisme dans un certain déséquilibre qui soit à la fois supportable et facteur de dynamisme. Ceci s’opère grâce à une formidable capacité d’adaptation aux contraintes internes et externes. C’est ce mouvement d’équilibriste qui nourrit l’évolution et la créativité.Un baromètre biologique indique en permanence si ce numéro d’équilibriste est supportable ou s’il est hors limite: c’est l’état émotionnel.

Notre état émotionnel initial conditionne le résultat de nos actions à venir. Le fait de se sentir bien au départ augmente considérablement les chances de réussir.

L’état émotionnel au cours de l’action conditionne aussi la qualité de l’action, donc le résultat, donc l’état émotionnel final, donc la qualité de la prochaine action, etc. Un véritable cercle vertueux.

Si l’état émotionnel obtenu est satisfaisant, l’organisme revient volontiers à l’action qui a généré cet état, car le «faisceau de la récompense» du système nerveux a été alimenté. Au contraire, s’il est insatisfaisant, l’organisme mémorise l’état via le «faisceau de la punition» et fera tout pour éviter de revivre cette situation par la suite. Ce «processus de renforcement», qu’il soit positif ou négatif, est d’une remarquable efficacité.

A noter que l’indicateur d’une émotion est le mouvement. Il ne peut en effet y avoir «d’é-motion» sans «motion», c’est-à-dire sans mouvement. Notre corps, ou une partie de notre corps bouge, et ce de façon perceptible ou imperceptible, interne ou externe: production d’hormones, modification du flux sanguin, du rythme respiratoire, changement d’expression, de posture, …

Un événement extérieur peut générer une émotion. Une explosion provoque la surprise ou la peur. La «motion» est alors automatique, activée par un dispositif réflexe.

A l’opposé, tout mouvement, toute action volontaire, a également une incidence immédiate sur notre état émotionnel. Ranger son bureau, résoudre une crise, créer un conflit, rendre visite à un client, changer d’activité, boire un verre d’eau, mais aussi faire du sport, écouter de la musique, danser, jouer, courir, chanter, respirer profondément, partir en voyage, téléphoner à un ami… autant d’actions qui ont pour conséquence le changement de notre état émotionnel.
Et si le but ultime de nos actions n’était que le changement de notre état émotionnel ?

Et si les raisons, les motifs, le sens de nos actions n’étaient finalement que des moyens pour changer notre état émotionnel? Changer de fonction pour mieux valoriser une compétence, faire du shopping pour faire plaisir à nos enfants, voyager pour découvrir d’autres cultures, fumer pour avoir un sentiment d’appartenance à un groupe, …

L’enthousiasme plutôt que la passion

Dans l’entreprise, le manager doit savoir enclencher le mouvement qui influencera l’état émotionnel d’un collaborateur, qui améliorera l’ambiance d’une équipe.

Il sait créer les conditions pour que l’état émotionnel se situe toujours dans une fourchette 50 – 80 sur une échelle de 0 à 100, c’est-à-dire entre intérêt, motivation et enthousiasme. Il sait que les extrémités de l’échelle (0 Apathie et 100 Passion) favorisent nuisent à une performance durable.

Lorsque certains managers – ou pire certains consultants – considèrent que la passion doit avoir droit de cité dans l’entreprise, ils oublient, comme son étymologie l’indique – passio en latin – qu’elle est liée à la souffrance et que la fin est généralement tragique. L’histoire, la littérature et l’actualité regorgent d’exemples de tragédies liées à la passion. Affirmons avec force que celle-ci n’a rien à faire dans l’entreprise, parce qu’elle est éphémère et pathogène.

A l’opposé, l’apathie n’est pas un état émotionnel plus souhaitable, car il ne crée pas les conditions d’un quelconque engagement. Il incite à la routine, à la torpeur, à la passivité, à l’inhibition de l’action,… toutes attitudes qui ne sont pas véritablement des facteurs de performance !

Le manager préférera donc l’enthousiasme, état dynamisant et durable comme l’indique son étymologie : theos (dieu) – enthousiasmos (transport divin). Il l’adoptera également pour lui-même et sera attentif à ce que son état émotionnel soit le plus constant possible et le plus prévisible possible. C’est parfois difficile, mais c’est un facteur crucial de crédibilité pour lui et de sécurité pour ses collaborateurs.

L’état émotionnel permet donc au manager de savoir où il en est, où en est l’autre, où en sont les autres, l’équipe, l’entreprise, le groupe.

Appliqué à une équipe, un service, à l’entreprise tout entière, c’est un remarquable outil de mesure du niveau de stress et du climat social.

Claude Desbordes est Directeur de Consulting, auteur de « Master Management » (L’Express Editions)