Dans mon métier initial, la médecine d’urgence, j’ai souvent été confronté à des sources de stress très vives.

Je me souviens un 24 décembre vers 14h30, j’étais de garde au SAMU lorsque survient un appel pour un accident  « voiture contre cyclo », situé à une dizaine de kilomètres du CHU. Lorsque nous partons, les lumières des gyrophares se reflètent dans les vitrines et viennent se mélanger aux scintillements des guirlandes électriques. Ce mélange d’éclats est plutôt beau. Lorsque nous arrivons sur place, un adolescent de quinze ans est allongé sur le sol, sans vie, la boite crânienne déformée sous la violence du choc. Notre activité consistera à s’assurer que nous ne pouvons rien faire. Je me souviens aujourd’hui encore des moindres détails, de cette sensation d’impuissance qui envahit alors l’ensemble de l’équipe, de l’atmosphère pesante qui s’installe. Lors du trajet du retour, il n’y a plus le bruit puissant de la sirène, on a l’impression que même le véhicule a de la peine. Lorsque nous repassons dans la ville, les lumières des gyrophares me paraissent ne plus vouloir se marier avec celles des guirlandes de Noël. A l’époque, je suis célibataire et le soir, lorsque je quitte le travail, j’annule une soirée avec des amis, je n’ai pas envie de faire la fête. Je rentre chez moi, et je m’investis sur un projet humanitaire en cours de préparation, une mission à Sarajevo. Quelques heures plus tard, je n’ai rien oublié mais la force de l’engagement au service de ceux qui souffrent l’a emporté et je suis nettement mieux. Le plaisir de pouvoir agir demain dans une ville assiégée l’a emporté sur la douleur inhérente à la mort de cet adolescent. L’engagement au service de l’Humain est un traitement extrêmement puissant du stress. La célèbre phrase de Hans Selye, expliquant l’intérêt de « l’altruisme égoïste » pour diminuer la toxicité du stress est tellement juste. L’Humain est un puissant remède face au stress. Il ne s’agit pas de dire, ici, que face au stress, il n’y a que l’engagement qui compte. Il s’agit de montrer que face aux pires sources de stress, le remède est dans l’Humain. Pas étonnant qu’on parle actuellement de « Cercle de l’Humain », de « Grenelle de l’Humain »… Souvenons-nous donc que face aux pires sources de stress, il faut injecter de… l’Humain !